Il était une fois,.... un brave P.D.G. qui avait des
problèmes. Non pas ceux que vous croyez. Les problèmes qui le
préoccupaient étaient au contraire porteurs d'avenir, pour son
entreprise et même, ne soyons pas modestes, pour la France. Son bureau
d'études par un concours de circonstances aussi imprévu que miraculeux,
venait en effet de faire une découverte fantastique, qui laissait loin
derrière elle, Papin et sa marmite, Guillotin et sa machine aujourd'hui
inutile, et même Newton et sa pomme. Grâce a cette idée, que la
postérité prendra certainement comme base d'une ère nouvelle, les hommes
pourront bientôt produire des tonnes d'électricité, avec tout simplement
du soleil, des bouts de ficelles tressées et du sable.
Il fallait, bien sûr, éprouver cette invention tellement incroyable et
c'était cela qui posait problème, car ces essais devaient être réalisés
sous un soleil brûlant et dans des conditions quasi inhumaines. Mais,
dans la résonance confuse du " téléphone arabe " de l'entreprise, on
sentait très bien une forte résistance des représentants du personnel.
Notre toujours brave P.D.G., qui était très social, prit donc la seule
décision qui s'imposait, il réunit tout les membres de son Entreprise et
leur tint à peu près ce langage :
"Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre
présence à cette réunion qui a son importance. Vous avez ouï dire que
notre bureau d'études a fait une découverte exceptionnelle, qui pourrait
porter notre entreprise au premier rang mondial. Sans entrer dans les
détails trop techniques, afin de ne pas vous lasser et, aussi bien sûr
pour garder notre secret, je tiens à vous donner les grandes lignes de
cette invention, afin que vous compreniez l'opportunité des essais que
nous devons effectuer.
Comme vous le savez, notre société est spécialisée
dans la fabrication de panneaux de tissus tressés en matériaux de
synthèse. Notre avance technique est telle, que nos tissus mousse à base
d'lsocyanate commencent à remplacer partout les anciens panneaux en
tissus éponge de polyuréthane. Et, il y a quelques jours, par un hasard
miraculeux, un de nos chercheurs qui travaillait sur des tresses d'un
nouveau produit synthétique encore supérieur, a remarqué que ces
panneaux, simplement posés sur du sable et exposés au soleil,
déclenchaient un processus réactionnel qui générait de l'électricité.
Ne souriez pas messieurs! Ce phénomène s'explique
scientifiquement. Le sable en effet, contient de la silice, et vous
savez tous que l'on utilise déjà le silicium, ce métalloïde tétravalent,
dans les piles solaires actuelles. Mais ce procédé qui coûte
horriblement cher, sera très vite dépassé par notre découverte beaucoup
plus pratique et économique. En effet, nos panneaux en tissu poreux a
base de salicyanate, jouent au contact du sable et sous la chaleur du
soleil, le rôle d'échangeurs d'ions. Cette réaction
physico-chimico-thermique est d'ailleurs sublimée par une légère
humidité, et par une mise en vibrations intermittente du sol."
Un silence admiratif suivit cet exposé. Notre P.D.G.
conscient de cet avantage poursuivit aussitôt :
"Il faut bien sûr, faire des essais à plus grande
échelle. Malheureusement nous sommes déjà à la mi-juillet, il nous reste
donc tout juste un mois pour profiter des journées d'ensoleillement
maximum. Nous n'avons pas le temps de construire une station
expérimentale, il faut donc que quelques personnes se dévouent pour
réaliser ces essais au plus vite.
Je pense que le plus simple serait de choisir un
endroit isolé et discret, à mon avis le plateau de Larzac devrait bien
convenir. Nous y ferions porter une cinquantaine de camions de sable
fin, et nous aménagerions sur place, des installations sommaires mais
confortables pour les hommes et le contrôle technique. Le travail de ces
volontaires consistera à disposer sur le sable des pans de notre nouveau
tissu éponge " Silical ", d'environ 180 cm par 70, et d'en assurer le
meilleur contact possible avec le sable ainsi que la meilleure
orientation par rapport au soleil. Ceci dans le but d'obtenir, pour ce
test expérimental, des résultats optimums. Ah, j'oubliais ! Il sera de
plus nécessaire, pour la mise en vibration du silicium, de jeter de
temps à autre sur le sable des masses de métal pesant 700 g environ."
Ce fut alors un tollé général. Un brouhaha
indescriptible, où chacun rajoutait sa critique…Notre brave P.D.G.
n'était qu'un tortionnaire, qu'un sadique sans cœur, qui non seulement
saignait les travailleurs, mais qu'en plus il voulait les cuire au
soleil! Comment pouvait-on songer sans honte, de faire travailler des
hommes des journées entières sous un soleil torride, et ce, quasiment
immobiles, à des températures approchant les 50 degrés. Et cela, pendant
deux à trois semaines ! Et au mois d'août en plus! C'était tout
bonnement inhumain ! … Le CE demandait un plan d'eau pour le
rafraîchissement (mais c'était déjà prévu pour humidifier l'atmosphère)
le doublement des équipes, etc.
Le CHS lui, exigeait la présence permanente d'une antenne médicale pour
des contrôles divers, pouls, tensions, etc. Les DP quant à eux
refusaient purement et simplement. Et même s'ils avaient accepté, il
aurait fallu payer des heures à 400 %, ajouter une double prime de
déplacement, ainsi qu'une prime de risque exceptionnelle, etc.
Tant et si bien que notre toujours brave P.D.G. était complètement
affolé. Il mettait en avant l'avenir de la société, l'intérêt général,
la création d'emplois, mais en vain, il n'était même pas entendu dans le
vacarme général. Quand tout à coup, une voix fluette mais claire lança :
Pardon, monsieur le Président...
Aussitôt silence. Qui avait osé interrompre une réunion de travail de
cette importance ? C'était Mme Dupont, la secrétaire de séance. Le
président très heureux de cette diversion inespérée lui donna la parole.
Eh bien moi, monsieur le Président, je suis
volontaire pour faire cet essai, et j'ajouterai même, pour le faire
gratuitement.
Re-tollé général, sarcasmes, rires ironiques ! La
pauvre, elle n'avait rien compris ! Evidemment, une femme ! Etc .., etc...
Le président lui-même interloqué de cette proposition, demanda le
silence et pria Mme Dupont de s'expliquer.
Eh bien oui, monsieur le Président, moi je suis
d'accord pour faire cet essai pour rien
Car, en effet, monsieur le Président, si j'ai bien
compris, cet essai, ce travail inhumain paraît-il, ce n'est ni plus ni
moins ce que font chaque année, tous les vacanciers qui vont se griller
au bord de la mer' !
Surprise générale, et silence embarrassé de toute la
salle.
Ben oui, monsieur le Président, cette année au lieu
d'aller mon mari et moi, en camping sur la Costa Brava, vous pourriez
nous louer une villa discrète au bord de la mer, avec une plage de sable
fin, à Saint-Tropez par exemple. Je m'occuperai très bien de vos
panneaux en nouveau tissu mousse "silical", cela me servira de
serviettes de bain, et ainsi j'économiserai les miennes!
Un rire franc détendit enfin l'atmosphère et les
représentants du personnel quelque peu embarrassés fêtaient néanmoins à
présent, Mme Dupont et louaient son bon sens. Notre toujours brave
P.D.G. était le plus heureux des hommes. Cette fois-ci encore, son
problème avait trouvé sa solution. Tout était parfait. Quand tout a coup
il se ravisa:
Mais, madame Dupont vous avez oublié une chose
importante. C'est que pour mettre les molécules de silicium en
vibration, il faudra par moments, jeter des masses de métal sur le
sable. Ce sera une corvée pénible certes, mais cruciale pour la réussite
de notre expérience.
Ne vous faites pas de souci pour ça, monsieur le
Président, mon mari, moi et nos enfants nous aimons beaucoup jouer à la
pétanque !
MORALITE
Du Travail, l'idée que l'on a, fait merveille.
Corvée pour les uns, pour les autres, trésor.
Tant il est vrai que toujours, au même soleil,
L'un s'y brûle, alors que l'autre s'y dore
Ndlr : "Toute ressemblance avec des organisations actuelles ou
passées...."
Reçu à la rédaction de la part de Raymond MONEDI Cercle PEP Juillet 2003